28/06/2024
Vie de l'agence
5 min

La phytopharmacovigilance, interview de Matthieu Schuler

Matthieu Schuler, directeur général délégué en charge du pôle sciences pour l’expertise, revient sur les apports du dispositif de phytopharmacovigilance dans la captation de données sur les produits phytopharmaceutiques.

En quoi la phytopharmacovigilance répond-elle aux préoccupations liées à la présence de pesticides dans l’environnement ?

Notre rôle en tant qu’agence sanitaire est de pouvoir répondre aux interrogations que se posent nos concitoyens : certaines maladies sont-elles liées à des pollutions précises ? Quand une observation interpelle, constitue-t-elle juste un bruit de fond ou s’agit-il d’un signalement à creuser afin de vérifier s’il y a ou non une alerte sanitaire ?

La phytopharmacovigilance collecte des informations sur les substances et produits phytopharmaceutiques présents dans l’environnement, qui sont source d’inquiétudes spécifiques, avec l’objectif de repérer des risques qui n’auraient pas encore été identifiés. Elle peut aussi combler des données manquantes à travers le financement de campagnes de mesures, de travaux de recherche et d’études épidémiologiques.

En 2023, par exemple, la deuxième campagnenationale de mesures dans l’air des logements a pris en compte la présence de pesticides dans l’air intérieur des bâtiments mais aussi dans les poussières qui peuvent être une source importante d’exposition. Ces résultats seront analysés courant 2024 et soumis au conseil scientifique du tout nouvel Observatoire de la qualité des environnements intérieurs (OQEI), porté par l’Anses et le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment. 

Quels défis rencontrez-vous pour identifier les expositions à risque ?

Avec ce dispositif de phytopharmacovigilance, nous avons fait un vrai pas en avant dans la captation de données sur les produits phytopharmaceutiques tels qu’utilisés et sur leurs résidus dans l’environnement. L’étape suivante est la bancarisation et le croisement de ces données environnementales avec d’autres données, en particulier de santé, afin de pouvoir qualifier le lien éventuel avec desmaladies chroniques. En effet, qui dit maladie chronique, dit exposition ancienne !

En l’absence de registre permettant de garder la trace des produits appliqués, les investigations pour retracer les expositions anciennes sont fastidieuses et doivent se rabattre sur de fortes approximations basées, par exemple, sur les données de vente aux agriculteurs. L’expertise des alertes sanitaires est toujours plus efficace quand on l’alimente avec des informations de terrain, géolocalisées, permettant de faire le lien avec les substances ou des produits qui posent question.

Le numérique ouvre de nombreuses possibilités en ce sens. L’Agence estime donc nécessaire de donner un caractère pratique et durable à la collecte des données d’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Cela nécessiterait bien sûr de poser un cadre strict : accès limité aux seules données d’usages, protection des droits des professionnels partageant leurs données... Disposer de telles données, de façon rationnelle et ancrée dans les territoires, aurait, par exemple, permis d’aller plus loin dans les conclusions de GEOCAP-Agri sur l’exploration de liens potentiels entre cancers pédiatriques et résidence à proximité de vignes. 

Comment aller plus loin pour exploiter les données générées ?

Quelles que soient les sources d’exposition, l’Anses encourage à multiplier les opportunités de collecter des données, mais aussi à réfléchir dès l’amont au format et à l’utilisation envisagés ensuite. C’est indispensable pour rendre leur exploitation facile et efficace en termes de santé publique. Cela veut dire penser à un système de collecte ouvert, anticiper les exploitations futures et les interconnexions avec d’autres types de données – sur l’état de santé des personnes, des sols, sur des expositions à d’autres facteurs de risque, pour ne prendre que quelques exemples. 

Pour répondre à ces ambitions, plusieurs perspectives existent au niveau politique et réglementaire. La nouvelle stratégie nationale de biosurveillance va permettre d’approfondir les connexions entre la santé environnementale et la santé humaine. Le projet Green data for health (GD4H) du 4e Plan national santé environnement constitue également une piste très intéressante pour institutionnaliser une approche multidisciplinaire en combinant tous les milieux et les types de produits, dont les produits phytopharmaceutiques bien sûr.

Avec ce dispositif de phytopharmacovigilance, nous avons fait un vrai pas en avant dans la captation de données sur les produits
phytopharmaceutiques. 

Matthieu Schuler
directeur général délégué en charge du pôle sciences pour l’expertise

Créé par la loi d’avenir pour l’agriculture 2014, le dispositif de phytopharmacovigilance est mis en place en 2015 par l’Anses. Il rassemble une vingtaine de partenaires, réseaux et organismes de surveillance ou de vigilance désignés par l’arrêté du 16 février 2017 relatif aux organismes participant à la phytopharmacovigilance, modifié par l’arrêté du 14 décembre 2018.

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