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Changement climatique : quel impact sur les maladies virales des poissons ?

Changement climatique : quel impact sur les maladies virales des poissons ?

Déjà fragilisées par les activités humaines et la dégradation globale de leur environnement, les populations de poissons sauvages marins subissent déjà toutes les conséquences du dérèglement climatique sur la qualité et la circulation des eaux. Plusieurs virus piscicoles particulièrement agressifs trouvent des conditions favorables à leur multiplication et à leur dissémination. Ces virus ont un impact important sur la santé de la faune sauvage et sur celle des poissons d’élevages, alors même que la population humaine montre un intérêt toujours croissant pour ces ressources animales.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

À l’échelle mondiale, l’année 2024 est l’année la plus chaude jamais enregistrée pour les eaux de surface ainsi que pour les eaux de profondeur (plus de 2000 mètres de profondeur). Des phénomènes extrêmes touchent d’ores et déjà les mers et les océans et vont s’intensifier à l’avenir, à l’instar des « canicules marines » (périodes de chaleur extrême touchant les eaux de surface, de quelques jours à quelques semaines, sur une grande étendue) telles que celles subies par le littoral français ces dernières années.

Ces canicules marines ont des effets délétères directs sur nombre d’organismes marins qui ne supportent pas de tels niveaux de température, typiquement les coraux. Mais elles génèrent aussi des effets indirects qui peuvent être tout aussi dévastateurs : c’est le cas des maladies infectieuses affectant les poissons marins, et en particulier celles causées par les virus.

Très peu médiatisées, les maladies virales des poissons sont néanmoins quotidiennement responsables de pertes économiques conséquentes dans la plupart des élevages dans le monde, toutes espèces confondues (saumon, bar daurade, tilapia, etc.).

Dans les années 2000, les épisodes de mortalité de saumons due au virus ISAV ont ainsi coûté près de 2 milliards de dollars à l’économie chilienne, qui était devenue la deuxième productrice mondiale de saumons d’élevage et qui a mis plusieurs années pour surmonter cette grave crise sanitaire.

La faune sauvage n’est pas non plus épargnée par des virus très pathogènes, certains étant d’ailleurs disséminés en grande quantité par les élevages localisés dans le milieu marin.

À l’été 2024, le virus RGNNV a décimé bon nombre de poissons de la faune sauvage dans le sud de l’Italie et la Grèce, en pleine canicule marine avec des pointes de température proches de 30 °C. Trois espèces de mérous ont été particulièrement affectées dont le mérou brun, espèce très sensible et considérée comme patrimoniale en France. De surcroît, pour la première fois, le virus a touché plusieurs espèces de poissons jusque-là à l’abri, comme le grondin volant, étendant encore un peu plus le spectre d’hôtes déjà large de ce virus qui touche plusieurs dizaines d’espèces.

Si les pics de chaleurs se multiplient dans les prochaines années, comme les scénarios le prédisent, il est à craindre que la mortalité due à ce virus continue de progresser dans tout le bassin Méditerranéen, et affecte encore une fois les élevages et la faune sauvage du littoral sud de la France.

Un océan de virus

Pour bien comprendre la menace, il faut réaliser que les virus constituent l’entité biologique la plus abondante des océans, et qu’une simple goutte d’eau de mer contient entre 1 et 100 millions de particules virales, toutes invisibles à nos yeux.

Si la grande majorité des virus aquatiques sont des bactériophages (virus infectant les bactéries), plusieurs familles virales s’avèrent avoir pour hôtes des organismes plus évolués tels que le plancton, les mollusques, les crustacés, les poissons ou encore les mammifères marins. Les virus sont ubiquitaires et ont colonisé la totalité des écosystèmes aquatiques du globe, incluant les eaux de surface et celles des abysses, formant ce qu’on pourrait qualifier une « matière noire » des océans. Le réservoir génétique global constitué par les virus aquatiques est donc quasi infini, d’autant qu’il évolue continuellement par les effets combinés des mutations et de l’adaptation aux hôtes et à l’environnement (rappelons que les génomes viraux mutent souvent beaucoup plus vite que ceux de leurs hôtes).

La température, facteur clé des maladies infectieuses des poissons

Une des conséquences directes du réchauffement des eaux est la baisse de leur concentration en oxygène. Le réchauffement affecte donc tout particulièrement les espèces de poissons nécessitant des taux d’oxygénation importants, parmi lesquelles les saumons et les truites notamment.

Certains des virus les plus fréquemment détectés dans les élevages de salmonidés dans le monde, les Piscine reovirus (PRV) et Piscine myocardite virus (PMCV), ciblent les tissus du cœur et les globules rouges, ainsi que les branchies. On peut donc imaginer les effets conjugués de la réduction de la capacité respiratoire des poissons provoquée par un virus et du manque d’oxygène dans une eau trop chaude. Ainsi, lors d’un épisode de chaleur touchant des cages à saumons à Terre-Neuve l’été 2019, les saumons montraient des activités métaboliques et des rythmes cardiaques accrus, révélant un stress aigu. C’est cependant l’interaction entre l’infection des saumons par des pathogènes et la température de l’eau qui a provoqué de fortes mortalités, jusqu’à 100 % sur certains sites.

Un autre paramètre à prendre en compte est la capacité de certains virus à se multiplier davantage dans leurs hôtes en conditions de températures élevées. Les protéines des virus seraient plus actives dans une certaine gamme de température conduisant ainsi à une production virale accélérée. En laboratoire, on peut démontrer qu’un virus RGNNV inoculé expérimentalement à des soles peut voir sa virulence dramatiquement augmenter avec la température, causant un taux de mortalité limité à 8 % quand l’eau est maintenue à 16 °C mais atteignant 100 % à 22 °C.

Des tropiques aux zones en réchauffement

Le RGNNV qui a décimé les mérous l’été dernier n’est pas le seul virus adapté aux eaux chaudes. D’autres virus encore absents ou à peine émergents en Méditerranée à ce jour pourraient y être introduits et provoquer des « épizooties » (épidémies des animaux, à propagation rapide) incontrôlables, par exemple les megalocytivirus.

À plusieurs égards, la Méditerranée est une zone idéale pour l’introduction et l’adaptation de virus exotiques. C’est une zone commerciale traversée par de nombreux cargos venant d’autres mers ou océans et susceptibles de transporter des virus dans les eaux de ballast. Depuis l’ouverture et l’élargissement du canal de Suez, elle est colonisée par de multiples espèces de poissons venant de la mer Rouge, par exemple, le poisson-lion. Celles-ci sont susceptibles de contaminer les espèces endémiques, qu’elles soient en élevages ou sauvages, avec des virus exotiques.

Une autre voie d’entrée de virus exotiques est le commerce international de poissons. Ainsi, des poissons ornementaux, transportés par avion depuis l’Amérique du Sud, ont été diagnostiqués positifs à un megalocytivirus sur le territoire européen. C’est loin d’être anecdotique : l’intense et a priori anodin commerce international de poissons exotiques représente en fait un risque majeur d’introductions de virus hautement virulents pour les poissons indigènes.

Que faire contre les maladies virales émergentes ?

Il est difficile de contrôler les épizooties dans un milieu aussi vaste et ouvert qu’une mer ou un océan. Néanmoins, la surveillance des élevages et de la faune sauvage doit être intensifiée afin de limiter les introductions et la dissémination de virus. Pour cet effort, des outils de diagnostic performants doivent bien sûr être disponibles et les acteurs du monde piscicole sensibilisés.

En plus de la quarantaine pour les importations de poissons d’élevage, les actions doivent porter sur la détection précoce des populations virales, d’une part au niveau des élevages, pour tenter d’éradiquer tout nouveau pathogène en sacrifiant la population de poissons dans le cas d’un élevage, et d’autre part au niveau de l’eau elle-même, en analysant l’« ADN environnemental » (ADN présent dans l’environnement) qui contient des séquences génomiques de virus connus et inconnus.


Article écrit par Laurent Bigarré, Chargé de projet, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)