Dans le cadre d’une collaboration exemplaire en matière de partage de données entre trois territoires d’outre-mer (Réunion, Guadeloupe et Martinique), un collectif scientifique du Cirad et de l’Anses publie, en collaboration avec les services en charge de la santé des végétaux (DGAL, SALIM, FREDON, FDGDON, LTA Martinique), les résultats d’une analyse d’environ 2330 échantillons d’agrumes collectés entre 2013 et 2022. L’étude génétique des plus de 750 échantillons positifs au Huanglongbing a permis aux scientifiques de reconstituer des histoires épidémiques de la maladie bien différentes entre les Antilles et La Réunion.
Les agrumes, première culture fruitière mondiale, sont menacés depuis le milieu des années 2000 par le Huanglongbing (HLB). Plus de 80 % des vergers ont par exemple déjà disparu en Floride, et la production agrumicole du Brésil se déplace hors de l’état de Sao Paulo, aux prises avec une épidémie hors de contrôle. La maladie est causée par trois espèces de bactéries du genre Candidatus Liberibacter qui sont transmises par deux espèces d’insectes de la famille des psylles. Bien qu’absente du bassin méditerranéen, le HLB est actuellement présent dans la plupart des grands pays producteurs d’agrumes et notamment dans trois des départements d’outre-mer français, régions ultrapériphériques de l'Union européenne (UE) : la Guadeloupe (depuis 2012), la Martinique (depuis 2013), et La Réunion (depuis 2015). « Cette situation, désastreuse pour la production agrumicole locale, montre qu’aucun territoire n’est à l’abri de l’avancée de la maladie et qu’il est essentiel de comprendre ses voies de propagation à l’échelle mondiale », commente Virginie Ravigné, phytopathologiste au Cirad.
L’étude a ainsi cherché à retracer les relations de parenté entre les bactéries trouvées dans des échantillons d’agrumes à partir de leur ADN. Elle se distingue par le très grand nombre d’échantillons analysés, issus de parcelles d’agriculteurs et des jardins privés collectés dans le cadre de la surveillance officielle et de programmes de recherche. Pour ce faire, les scientifiques ont développé et combiné plusieurs types de marqueurs génétiques.
L’étude confirme que ces épidémies sont principalement causées par Ca. Liberibacter asiaticus (CLas), l’espèce la plus problématique dans le monde, Ca. Liberibacter africanus (CLaf) n’ayant été trouvé que sur un seul site à La Réunion. Elle révèle également des situations extrêmement contrastées entre les Antilles et La Réunion, malgré des épidémies quasiment concomitantes. « Les souches de CLas de Guadeloupe et Martinique sont très peu diverses et si apparentées entre elles que l’on peut suspecter des mouvements de souches inter-îles et/ou des introductions indépendantes de souches étroitement apparentées ».
A l’inverse, la diversité génétique des échantillons de CLas de La Réunion est plus forte et sans lien avec la géographie. Il n’a pas été mis en évidence de structure forte liée à la présence de populations fortement différenciées, ce qui réfute l’établissement de populations distinctes résultant d’introductions multiples et indépendantes de l’agent pathogène. La diversité génétique des populations bactériennes mise en évidence est peu compatible avec l’hypothèse d’une introduction récente, et semble correspondre à une réémergence d’une épidémie ancienne. « Il faut savoir que La Réunion, contrairement aux Antilles, a été le théâtre d’une première épidémie dès 1968. L’incidence de la maladie avait alors pu être fortement réduite grâce à une intensive campagne de lutte chimique, biologique (contre les insectes-vecteurs), couplée à des arrachages massifs menée dans les années 1970 et 1980 », rappelle Olivier Pruvost, phytopathologiste au Cirad à La Réunion, coordinateur de l’étude. Au milieu des années 1990, moins de 0,5 % des arbres présentaient encore des symptômes, selon une publication de l’époque. « D’après nos analyses génétiques, il est possible que la résurgence épidémique observée depuis 2015 provienne des vestiges de cette première épidémie ».
Frédéric Labbé, phytopathologiste au Cirad à La Réunion poursuit : « La maladie a une longue phase asymptomatique et ses symptômes peuvent être facilement confondus avec des carences. Ainsi la bactérie a pu circuler à bas bruit pendant de nombreuses années ». Pour les chercheurs, les paysages contrastés de l’île et les cultures d’agrumes clairsemées ont certainement permis pendant un moment d’agir comme barrière à la diffusion de la maladie. Cependant, « les fréquents cas de HLB retrouvés sur agrumes de particuliers, qui ne faisaient pas partie de la campagne de lutte, suggèrent que ceux-ci peuvent constituer un réservoir de maladie en relayant la propagation des psylles et en contribuant ainsi à la progression de la maladie ».
Pour Virginie Ravigné, « l’enjeu aujourd’hui pour ces trois territoires d’outre-mer est de savoir si on replante et où ». Le Cirad accompagne cette réflexion avec les services d’appui à l’agriculture, sachant que pour l’instant la plupart des agrumes sont sensibles au HLB. A plus long terme, le Cirad est à pied d’œuvre pour créer de nouvelles variétés d’agrumes qui conserveraient leurs caractères gustatifs tout en intégrant des gènes de résistance ou de tolérance. Des programmes de recherche analysent actuellement les déterminants génétiques de la tolérance - plutôt observée dans certaines variétés de lime - et de la résistance stricte - trouvée dans les agrumes d’Océanie, comme le citron caviar. L’objectif est de réaliser des croisements avec les variétés commerciales sensibles et de tester ces nouveaux hybrides.
Le Cirad développe aussi des travaux sur l’usage de nouveaux porte-greffes tétraploïdes, des conduites agronomiques innovantes mobilisant par exemple l’écologie chimique, l’amélioration du diagnostic moléculaire et le renforcement de la détection précoce de la bactérie à l’échelle du paysage au moyen d’imagerie embarquée sur drones. Cependant, l’intégration de ces techniques au sein de plans stratégiques ne sera pas prête avant plusieurs années. Pour les territoires encore indemnes, la priorité donc est à la vigilance afin de retarder au maximum l’arrivée de la maladie et à l’anticipation. Ces thématiques sont soutenues par un groupe de travail dédié au HLB, copiloté par le Cirad et l’Anses, au sein de la plateforme d’épidémiosurveillance en santé végétale (ESV).
Ce travail a été financé par le Conseil Régional de La Réunion, le Réseau Européen d’Observation pour le Développement Territorial et la Cohésion, le projet Santé et Biodiversité, et l’Agence Nationale de la Recherche, le Département de La Réunion et l’Union Européenne.