Cosmétiques : comment mieux protéger la santé des consommateurs ?
De par leur composition, les produits cosmétiques peuvent nous exposer quotidiennement à des substances chimiques potentiellement dangereuses pour notre santé. Quels sont leurs effets potentiels sur la santé ? Pourquoi est-il important de déclarer les effets indésirables ? Depuis début 2024, l’Anses est en charge de la vigilance et de l’expertise sur les produits cosmétiques et de tatouage. Voici tout ce qu’il faut savoir sur les produits cosmétiques et la protection de la santé avec nos spécialistes de la question.
Qu’est-ce qu’un produit cosmétique ?
Céline Druet Si l’on pense immédiatement aux crèmes pour la peau ou aux produits de maquillage, les produits cosmétiques recouvrent en réalité une grande variété de produits très différents. Il s’agit par exemple des dentifrices, des shampoings et savons, des crèmes de protection solaire, des vernis à ongles, des parfums, des déodorants et crèmes dépilatoires, ou encore des teintures capillaires.
Selon la réglementation européenne, un produit cosmétique correspond à toute « substance ou mélange destiné à être mis en contact avec les parties superficielles du corps humain (l’épiderme, les systèmes pileux et capillaire, les ongles, les lèvres et les organes génitaux externes) ou avec les dents et les muqueuses buccales, en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles ».
En revanche, les crèmes, pommades ou gels à usage thérapeutique (antibiotiques, anti-inflammatoire par exemple) ne sont pas des produits cosmétiques mais bien des médicaments ou des dispositifs médicaux. Les produits cosmétiques quant à eux n’ont pas vocation à soigner.
Quels sont les effets potentiels des produits cosmétiques sur la santé ?
Juliette Bloch Un produit cosmétique contient de nombreuses substances chimiques qui peuvent provoquer des effets indésirables à court ou long terme. L’innocuité d’un produit doit avoir été démontrée par l’industriel qui le met sur le marché européen. Les substances les plus toxiques sont interdites et ne doivent pas entrer dans la composition des produits, d’autres ne doivent pas dépasser une certaine concentration ou sont réservées à des usages ou populations particuliers.
La grande majorité des effets indésirables observés sont des réactions allergiques, même quand tous les ingrédients du produit sont conformes à la réglementation en raison de la sensibilité de certaines personnes.
D’autres effets nocifs peuvent être mis en évidence. Par exemple, l’acide glyoxylique est une substance chimique utilisée dans certains produits cosmétique pour ses qualités d’agent lissant. Dans le cadre de ses missions de cosmétovigilance, l’Anses a ainsi reçu en 2024 des signalements d’insuffisance rénale aiguë suite à l’application de produits dits de « lissages brésiliens » qui en contenait.
Quelles sont les précautions à prendre lors de l’application d’un produit cosmétique ?
Elodie Lontsi Pour garantir une utilisation sûre des produits cosmétiques, voici les précautions essentielles à respecter :
Avant toute chose, il est important de lire attentivement les étiquettes :
- Respecter les instructions d’utilisation : respecter les conditions d’emploi indiquées sur le produit telles que la zone d’application, la durée de pose ou la fréquence d’utilisation. Veillez également à respecter la date de péremption et la durée de conservation après ouverture. Les personnes allergiques doivent vérifier que le produit ne leur est pas déconseillé. Certains produits ne sont pas destinés aux enfants.
Pour des produits spécifiques, comme les cires à chauffer, respecter strictement les consignes, notamment le temps de chauffe etc.
Prendre en compte les mises en garde spécifiques : par exemple, éviter d’appliquer un déodorant sur une peau irritée ou lésée, ou d’utiliser un produit sur un enfant alors que le fabricant le déconseille.
- Vérifier la composition du produit :
Lire la liste des ingrédients pour identifier des allergènes auxquels vous pourriez être sensible.
En cas de réaction indésirable :
- Arrêter l’utilisation du produit.
- Consulter un médecin ou contacter un Centre antipoison.
- Signaler l’incident sur le portail dédié aux événements sanitaires indésirables du ministère de la Santé : https://signalement.social-sante.gouv.fr/
Pourquoi et comment déclarer un effet indésirable ?
Elodie Lontsi Les signalements sont essentiels pour mieux comprendre les risques et protéger les consommateurs.
Selon le Code de la santé publique français : les distributeurs de produits cosmétiques ou la personne responsable du produit, fabricants, mandataires ou importateurs travaillant au sein de l’Union européenne ont l’obligation de déclarer les effets indésirables graves qui se produisent dans les conditions normales d’emploi ou raisonnablement prévisibles d’un produit cosmétique chez l’humain : effet entrainant une hospitalisation, une incapacité fonctionnelle permanente ou temporaire, un handicap, des anomalies congénitales, un risque vital immédiat ou un décès.
Les professionnels de santé ou usagers, coiffeurs, esthéticiens peuvent aussi déclarer un effet indésirable lié à un produit cosmétique.
Depuis janvier 2024, l’Anses est en charge de surveiller les effets indésirables en lien avec l’utilisation de produits cosmétiques.
Une fois analysées par l’Anses, ces déclarations sont très utiles pour renforcer la protection de la santé des consommateurs. Cela permet notamment d’ajuster les conditions d’emploi, d’identifier des produits non conformes sur le marché ou encore de détecter des substances toxiques et ainsi mieux les encadrer, voire, dans certains cas, à conduire à leur interdiction au niveau européen.
Du 1er janvier 2024 au 31 décembre 2024, nous avons reçu 378 signalements dont 129 cas graves.
51% des déclarations venaient des usagers dont 2 des professionnels de la beauté.
Que se passe-t-il après un signalement d’un effet indésirable ?
Elodie Lontsi Lorsque l’Anses reçoit un signalement en lien avec un produit cosmétique, quel que soit son mode de transmission, elle vérifie que le produit incriminé est bien enregistré dans la base européenne CPNP, comme l’exige la réglementation. Elle peut ainsi prendre connaissance de la composition et des précautions d’emploi devant figurer sur l’emballage.
L’Anses évalue ensuite l’imputabilité pour tous les effets indésirables graves, c’est-à-dire un lien éventuel entre le produit et les effets indésirables graves signalés, à partir de différents éléments fournis : les symptômes, la chronologie de l’apparition des symptômes, les résultats de tests pour rechercher une allergie par exemple etc. Pour les besoins de cette évaluation, l’Anses peut solliciter l’avis de son collectif d’experts « Vigilance des produits chimiques » qui inclut des toxicologues des Centres antipoison et dermatologues.
L’Anses signale les cas graves sur le portail européen ICSMS - Information and Communication System for Market Surveillance, sauf lorsqu’il s’agit d’un mésusage ou que l’imputabilité est exclue. Toutes les autorités compétentes européennes en matière de cosmétovigilance sont ainsi informées.
Lorsqu’un produit est à l’origine de plusieurs cas d’effets indésirables, en particulier graves, l’Anses se rapproche de l’industriel pour qu’il transmette tous les signalements qu’il a pu recevoir, la composition précise du produit, le packaging actuel, les conseils d’emploi et les volumes de ventes.
Les entorses à la réglementation constatées par l’Agence sont signalées à la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF), l’autorité compétente pour contrôler la sécurité des produits mis sur le marché et les retirer en cas de fraude.
Si une substance est suspectée d’être à l’origine des effets indésirables, alors même qu’elle ne fait pas l’objet de dispositions d’interdiction ou de restriction d’emploi par la réglementation, l’Anses peut déclencher une expertise pour étudier plus spécifiquement les risques liés à l’exposition à cette substance.
Comment mieux protéger les utilisateurs de produits cosmétiques ?
Sandrine Charles Si un ingrédient entrant dans la composition d’un produit cosmétique suscite des préoccupations en termes de sécurité, un État-membre peut solliciter la Commission européenne, qui peut alors donner mandat au Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs (CSSC) pour évaluer ou réévaluer la sécurité d’utilisation de cet ingrédient. Sur cette base, la Commission européenne pourra ainsi encadrer l’utilisation de cet ingrédient. Concrètement, les annexes du règlement cosmétique qui fixe les listes des substances interdites, restreintes ou autorisées, seront modifiées.
Dans ce cadre, l’Anses peut mener des expertises afin de soumettre des propositions d’évaluation de substances à la commission européenne lorsque des préoccupations en matière de sécurité sont soulevées. Par exemple, lors des signalements d’insuffisance rénale aiguë suite à l’application de produits dits de « lissages brésiliens » contenant de l’acide glyoxylique, l’Anses a lancé une expertise sur la toxicité rénale de cette substance. Elle y recommande de réaliser une évaluation des risques afin de statuer sur la nécessité d’une restriction voire d’une interdiction de l’utilisation de cette substance dans les produits de soins capillaires dans le cadre du règlement cosmétique européen.
Par ailleurs, l’Anses peut être sollicitée par ses ministères de tutelle pour apporter un appui scientifique sur des sujets particuliers, comme cela a été le cas dans le cadre de la révision de la recommandation de la Commission européenne de 2006 sur les allégations de sécurité et d’efficacité des produits de protection solaire. Dans son avis, l’Agence incite à rendre la recommandation plus claire et plus contraignante, pour une meilleure information et une meilleure protection des utilisateurs de produits solaires.
Le dioxyde de titane est-il autorisé dans les cosmétiques ?
Céline Druet Le TiO2 est un ingrédient cosmétique autorisé comme colorant et filtre UV. Ses usages sont encadrés par les annexes IV et VI (listes des ingrédients autorisés respectivement comme colorant et filtre UV) du règlement européen relatif aux produits cosmétiques (n° 1223/2009).
Suite à la préoccupation soulevée par l’Efsa concernant sa potentielle génotoxicité, la Commission européenne a mandaté CSSC pour réévaluer la sécurité du TiO2 dans les cosmétiques, en se focalisant sur l’exposition par inhalation et par voie orale des consommateurs et sur la potentielle génotoxicité de la substance. Il a conclu qu’il n’était pas possible d’exclure un potentiel effet génotoxique de la plupart des formes de TiO2 utilisées dans les cosmétiques.
En réponse à l’évaluation du CSSC, un groupement d’industriels a partagé avec les Etats-membres et la Commission européenne en mai 2024 une feuille de route proposant une démarche pour apporter des données complémentaires que l’Anses a analysé.
- En savoir plus sur la cosmétovigilance (Article Vigil'Anses pdf)
Cet article a été réalisé en interrogeant Céline Druet, directrice adjointe de la direction de l'évaluation des risques, Juliette Bloch, directrice des alertes et des vigilances sanitaires, Elodie Lontsi, chef de projet cosmétovigilance et tatouvigilance et Sandrine Charles, cheffe de projet Produits cosmétiques et de tatouage.